Cette apparition avait douché l'enthousiasme de Charlie et Hurley, et c'est inquiets et légèrement effrayés qu'ils retournèrent vers leur stock d'équipements. L'obscurité avait repris ses droits sur la jungle, et les animaux nocturnes émettaient leur lot de bruits habituels, qui, à force, étaient devenus rassurants. Parvenus à leur point de départ, ils regardèrent les fournitures entassées sur le sol.
"Bon, qu'est-ce qu'on pourrait bien faire maintenant?", demanda Charlie.
"Je suis pas sûr de vouloir continuer...", commença Hurley. Mais il fut interrompu par un bruit de tam-tam qui s'éleva quelque part entre les arbres. Charlie et Hurley tournèrent immédiatement la tête vers la source supposée.
"C'est quoi, ça, encore?", demanda Charlie.
"Je ne veux pas le savoir...", répondit Hurley.
"Oh, allez, on va jeter un œil et on revient, ok?"
Hurley hésita. Après le spectre de Sun, il ne se sentait pas prêt à affronter autre chose. Mais Charlie pouvait être fatiguant au point d'être persuasif. Après un discours aussi tordu que long, Hurley accepta, plus pour être tranquille que parce qu'il était convaincu.
"Aaaah, tu vois quand tu veux!", s'exclama Charlie, ravi.
"Ouais", maugréa Hurley. "Mais juste un coup d'œil, et après, on rentre."
"Mais oui, t'en fais pas..."
Ils se mirent en marche vers l'endroit d'où ils supposaient que le bruit venait. Entre temps, d'autres tam-tams s'étaient joints au premier, semblant jouer une litanie bien particulière.
Lorsqu'ils commencèrent à voir des éclats de flammes, Charlie et Hurley surent qu'ils n'étaient pas loin. En rampant, ils arrivèrent sur un petit promontoire qui surplombait une vallée qui leur était inconnue. Ils pouvaient nettement distinguer, en bas, un large feu devant lequel se tenait un homme couvert d'une peau d'ours polaire. Il tenait une sorte de bâton rituel dans la main gauche et faisait de grands gestes en lançant des incantations dans une langue inconnue. Il prit soudain une poignée d'une sorte de sable dans la sacoche qu'il portait au côté, et la jeta dans les flammes. Une petite explosion eut lieu, projetant sa lumière tout autour. Entourant cette scène, une bonne cinquantaine de personnes regardaient le feu avec un mélange de peur et d'admiration. Ils se tenaient dans l'ombre, de sorte que ni Charlie, ni Hurley, ne pouvaient vraiment distinguer leurs traits. De toute façon, ils étaient trop attirés par le manège de l'homme au bâton pour y prêter attention. Ni l'un, ni l'autre ne songeaient plus à partir, tant ce spectacle était fascinant.
L'homme devant le feu fit un signe, et deux autres mâles bien bâtis sortir de l'ombre, encadrant une forme qui se débattait.
"C'est la Française!", chuchota Charlie.
Rousseau essayait de se libérer en hurlant des imprécations en français, mais ses gardes n'en avaient cure. Ils la trainèrent jusqu'au chaman et la firent agenouiller. De son bâton, le chaman lui releva la tête. Rousseau cria encore quelque chose et lui cracha au visage. Le chaman se mit à rire, puis lança une phrase derrière lui. Un troisième homme s'avança avec une sorte de massue couverte de dessins. L'espace d'un instant, Hurley se demanda s'il s'agissait du même genre de bâton que celui d'Eko. Il espéra vite que non.
Le chaman prit la masse des mains de son assistant, lui confia son bâton, et se tourna de nouveau vers Rousseau. Avec un affreux rictus, il leva l'arme au-dessus de lui et l'abattit sur le crâne de la Française. L'impact fut assez fort pour faire voler sa boîte crânienne en petit morceau. Hurley et Charlie regardèrent avec horreur le corps de Rousseau s'affaisser sur le côté et la cervelle commencer doucement à se répandre sur le sol. Le chaman leva la massue à deux mains au-dessus de sa tête. Comme si elle n'attendait que ce signal, la foule autour explosa en une joie sans borne. Charlie et Hurley observaient la scène avec horreur, chacun sur le point de rendre ses tripes.
"je me casse d'ici!", lâcha soudain Hurley. Il se leva prestement et s'enfuit. En bas, une personne du public pointa le promontoire en criant quelque chose. Sans nul, ils étaient repérés. Sans attendre, Charlie se lança à la poursuite de son ami.
***
Quand il l'eut rattrapé, sans cesser de courir, Charlie cria à Hurley aussi fort qu'il put :
"Ils nous ont vus! Qu'est-ce qu'on fait?"
"Faut prévenir Jack!", lui répondit Hurley.
Le docteur saurait quoi faire. Il savait toujours quoi faire.
La terreur donnait des ailes aux deux survivants. Jamais ils n'avaient été aussi vite. En un rien de temps, ils eurent rejoint le bunker. Ils s'engouffrèrent à l'intérieur et refermèrent vivement la porte.
"Jack! Jack!", cria Charlie en courant dans les couloirs.
Hurley, essoufflé, le suivait difficilement. Ils trouvèrent le médecin dans le salon. Il avait l'air agité et faisait les cents pas.
"Hé, Jack, on a de gros problèmes!", déclara Charlie en reprenant son souffle. "On est poursuivis par une bande de dingues. Ils viennent de tuer Rousseau, c'était... C'était horrible..."
Il frissonna à ce souvenir. Mais Jack ne semblait pas s'en soucier. Il continuait à tourner en rond, en répétant : "Tout ce travail... Elle s'est enfuie..."
"Eh, mec, t'es sûr que ça va?", demanda Hurley avec inquiétude.
Jack s'arrêta soudain et fixa des yeux fous sur Hurley. Celui-ci recula instinctivement d'un pas.
"Ça va? Ça va?", s'excita le docteur. "Elle s'est enfuie! Comment ça pourrait aller?"
Hurley et Charlie le regardèrent sans comprendre.
"De qui tu parles? De Kate?", demanda Charlie.
Une lueur bizarre passa dans les yeux de Jack.
"Mais non! Mais non!", s'emporta-t-il. "Ma créature! Elle s'est enfuie!"
Charlie et Hurley échangèrent un regard. Jack avait pété les plombs.
"Euh... Ok, ok, Jack... On va te laisser, maintenant...", dit Charlie en reculant. Hurley l'imita.
"Vous ne devriez pas sortir...", dit Jack d'un ton doucereux en écarquillant les yeux. "Elle est dangereuse..." Il partit soudain d'un rire dément à glacer le sang.
***
Charlie et Hurley vérifièrent que personne ne les attendaient à l'extérieur pour sortir. Ils décidèrent de retourner à la plage prévenir les autres. Pendant le trajet, chacun resta silencieux. Ils avaient subi trop de chocs en trop peu de temps pour pouvoir parler. Ils étaient plongés dans leurs pensées quand un arbre entre eux explosa. Par réflexe, ils se protégèrent le visage de leurs bras. Lorsqu'ils les baissèrent, ils ne purent que constater que le végétal -ou, du moins, ce qu'il en restait - était calciné.
"Tu crois que ça pourrait être le chaman?", demanda Charlie après avoir examiné les restes.
"J'espère que non", répondit Hurley.
Charlie entendit alors un sifflement et baissa la tête juste à temps. Une sorte de projectile blanc-bleu lui passa au-dessus et gela un arbre en face du tronc calciné. Charlie et Hurley regardèrent le phénomène avec de grands yeux.